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Au Bangladesh, les victimes des émeutiers qui ont chassé l'ancien régime redoutent un déni de justice
Au Bangladesh, les victimes des émeutiers qui ont chassé l'ancien régime redoutent un déni de justice / Photo: Abu SUFIAN JEWEL - AFP/Archives

Au Bangladesh, les victimes des émeutiers qui ont chassé l'ancien régime redoutent un déni de justice

De l'immunité à l'impunité ? Au Bangladesh, la promesse des autorités provisoires de ne pas poursuivre en justice les émeutiers qui ont précipité la chute de l'ex-Première ministre Sheikh Hasina inquiète ceux qui ont été la cible de leurs violences.

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Abdul passe le plus clair de son temps dans un hôpital de Dacca, au chevet de son fils de 16 ans, Shahriar, plongé dans un profond coma depuis qu'il a été roué de coups par des manifestants.

"Mon fils n'a plus ouvert les yeux, ni même parlé", se désole le père de famille, qui tient à préserver son anonymat par peur des représailles.

Depuis que le ministère de l'Intérieur a annoncé que les "révolutionnaires" de l'été dernier ne seraient pas inquiétés, il redoute que ceux qui ont frappé sont fils ne soient jamais punis.

Le 5 août, le jour où Sheikh Hasina a fuit le Bangladesh, Shahriar a été surpris dans son village du district de Panchagarh (nord) par une foule qui a envahi les rues, incendié et pillé les commerces de la communauté soufie des Ahmadiya.

"Près de 500 personnes armées de bâtons et de marteaux ont investi les maisons Ahmadiya", raconte Mawlana Muhammad Salauddin, un membre de cette minorité musulmane.

"Certains ont trouvé refuge à la mosquée, d'autres se sont cachés dans les buissons ou chez des voisins", poursuit le témoin. L'adolescent n'a pas réussi à échapper à cette brusque flambée de violence.

Lancées à l'initiative d'étudiants de la capitale Dacca, les manifestations contre le régime de Sheikh Hasina ont essaimé dans tout le pays, jusqu'à sa fuite en hélicoptère pour l'Inde.

- Tourbillon de violences -

Plus de 700 personnes, pour l'essentiel des civils, ont trouvé la mort sous les tirs et les coups des forces de l'ordre, selon un bilan provisoire de l'ONU.

Dans le tourbillon de violences qui s'est emparé du pays dans les trois jours qui ont suivi la chute de l'ancien régime autoritaire, certains émeutiers s'en sont pris à ses partisans, réels ou supposés.

Selon les autorités, au moins 46 policiers ont été tués, des membres de la Ligue Awami, le parti de Sheikh Hasina, lynchés.

D'autres épisodes de violences se sont nourris de tensions religieuses ou simplement des circonstances.

L'ONG de défense des droits humains Ain O Salish Kendra a recensé au moins 318 tués, dont des enfants, du 5 au 8 août, quand le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus a pris les rênes du gouvernement provisoire.

Le Conseil bangladais pour l'unité hindou, bouddhiste et chrétienne (BHBCUC) a répertorié 2.010 incidents violents entre le 4 et le 20 août.

Parmi eux, la destruction du musée hébergé au domicile du premier président du Bangladesh indépendant, Sheikh Mujibur Rahman, le père de l'ex-cheffe du gouvernement, qui a fait au moins quatre morts, selon des témoins.

Autre victime, une femme de la minorité hindoue a affirmé avoir été violée le 5 août par des émeutiers. "Nous n'avons pas porté plainte par peur", a-t-elle confié sous couvert de l'anonymat.

La minorité hindoue du pays - moins de 10% des 170 millions de Bangladais - a été particulièrement ciblée par les manifestants car considérée comme proche de l'ex-Première ministre.

- "Pas d'impunité" -

A ce jour, le gouvernement provisoire a accordé une large immunité aux adversaires de l'ancien régime impliqués dans des violences.

Le 14 octobre, sa position a été gravée dans le marbre d'une déclaration officielle du porte-parole du ministère de l'Intérieur, Faisal Hasan.

"Les étudiants et les citoyens qui ont participé à rendre ce soulèvement victorieux ne feront l'objet d'aucune poursuite, arrestation ou harcèlement pour leurs actes commis entre le 15 juillet et le 8 août", a-t-il annoncé.

A l'inverse, la police et la justice ont enregistré de nombreuses plaintes visant les tenants du gouvernement déchu. Des dizaines d'entre eux ont été placés en détention.

Un mandat d'arrêt a aussi été délivré contre Sheikh Hasina, motivé par les multiples exactions et atteintes aux droits humains documentées par les ONG pendant les quinze ans (2009-2024) de son règne de fer.

Au nom du conseil religieux BHBCUC, Nirmal Rozario réclame aujourd'hui que la justice s'intéresse à toutes les violences.

"Si le gouvernement souhaite défendre la bonne gestion, il doit enquêter sur tous les cas de violence et poursuivre leurs auteurs", juge-t-il.

L'avocate Sara Hossain souhaite elle aussi que l'immunité accordée du gouvernement ne s'étende pas "aux auteurs de crimes violents", et presse les autorités provisoires de clarifier leur position.

En attendant un éventuel signe de la justice, les parents de Shahriar veillent sur leur fils dans sa chambre de l'hôpital de Dacca.

"J'y passe tout la journée (...) pour garder l'œil sur lui", confie son père.

W.Nelson--AT