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Le retour de la gauche en Uruguay, le "cadeau de départ" de José "Pepe" Mujica
Icône de la gauche sud-américaine, l'ex-président uruguayen José "Pepe" Mujica (2010-2015), 89 ans, prend comme un "cadeau de départ" la victoire de son poulain dimanche à la présidentielle, et dans un rare entretien à l'AFP l'ex-guérillero dénonce les dérives autoritaires au Venezuela, au Nicaragua, "la folie" Milei en Argentine, et les dirigeants qui, coûte que coûte, se maintiennent au pouvoir.
La victoire de Yamandu Orsi à la tête de la coalition de gauche du Frente Amplio, dont le Mouvement pour la participation populaire qu'il a crée en 1989 est le courant majoritaire, provoque chez Mujica "un sentiment de gratitude, de joie". "Un peu comme un cadeau de départ!", dit-il, amusé.
Surnommé le "président le plus pauvre du monde" pour avoir reversé la quasi-totalité de ses revenus de chef d'Etat à un programme de logement social, José Mujica a accueilli l'AFP jeudi dans modeste ferme des environs de Montevideo où il a toujours vécu, même durant son mandat quand il conduisait lui-même sa vieille Coccinelle.
Ce chantre de la frugalité qui se dit "philosophiquement stoïcien", parle posément dans son salon où le temps semble s'être arrêté, chaussé de pantoufles et de vieilles chaussettes de laine. Derrière lui, d'innombrables livres s'entassent dans la bibliothèque où sont posés des souvenirs de voyage, une statuette du pape François ou une photo de Fidel Castro.
Non loin veille son épouse depuis plus d'un demi-siècle, Lucia Topolansky, rencontrée dans "la lutte clandestine" avant l'avènement de la dictature militaire (1973-1985): "Le plus grand succès de ma vie", dit sans détours celui qui a traversé une vie de lutte politique, emprisonné et torturé durant les années sombres, devenu ensuite député, sénateur, ministre, et enfin président du pays à la démocratie retrouvée.
- "Insupportable" -
"J'en ai marre des journalistes. Mais ce n'est pas de votre faute", augure en ouvrant la porte de sa demeure au bout d'un chemin de terre l'homme réputé pour son verbe spontané, sans langue de bois et parfois polémique.
"La parole est une arme redoutable, si elle est bien utilisée et si, au-delà de la rationalité, elle va jusqu'aux zones émotionnelles de l'être humain", dit-il, estimant humblement que "peut-être la nature m'a donnée une partie de ce don de la parole. (...) Et peut-être ai-je pu le perfectionner".
Celui qui a fait de l'Uruguay un pays pionnier dans l'adoption de mesures progressistes (avortement, mariage homosexuel, légalisation du cannabis, première mondiale en 2013), dénonce sans ambages "les régimes autoritaires" au Venezuela de Maduro et au Nicaragua d'Ortega qui "ne sont pas de gauche", et met Cuba "de côté" bien que "ça ne marche pas".
"L'autoritarisme en Amérique latine est un retour en arrière. On l'a vécu historiquement quand les Etats-Unis s'immisçaient partout", dit-il. Et d'ajouter: "Ce qui m'énerve le plus, c'est quand ils jouent à la démocratie et qu'ils trichent. Ca c'est insupportable."
- "Quel espoir" -
Il tance également un autre personnage historique de la gauche en Amérique latine, le Bolivien Evo Morales, qui entend revenir au pouvoir après avoir longtemps dirigé le pays andin (2006-2019).
"Dans la vie, il y a un temps pour arriver et un temps s'en aller. (...) Ce que fait Evo est inconcevable", dit-il, critiquant également la cheffe du péronisme argentin Cristina Kirchner, deux fois présidente (2007-2015), vice-présidente (2019-2023) et aujourd'hui à la tête de l'opposition à Javier Milei, dont l'arrivée au pouvoir est "une folie".
"C'est une leçon sur ce que l'hyperinflation peut faire à un peuple. Une nouvelle leçon historique. La République de Weimar s'est effondrée et les gens ont voté pour Hitler à cause d'un processus d'hyperinflation. L'Allemagne était le pays le plus cultivé et le peuple allemand, désespéré, a fait une chose barbare. Le peuple argentin a également fait quelque chose de barbare", gronde-t-il.
L'ancien président uruguayen s'inquiète également que son "vieil ami" Luiz Inacio Lula da Silva, qui mène son troisième mandat à la tête du Brésil, "n'a pas de successeur" et "c'est le malheur du Brésil". Et il pense que l'accord commercial UE-Mercosur ne sera jamais ratifié "parce que les agriculteurs français n'en veulent pas".
A l'automne de sa vie, "Pepe" Mujica, pourfendeur de "la culture consumériste", déplore que "beaucoup de gens confondent l'être et l'avoir". Il dit qu'il aurait aimé pouvoir en faire "encore plus" et se morfond "qu'aujourd'hui encore des gens ne mangent pas à leur faim".
Il regrette une époque où semble avoir disparu "l'espoir". "On a fait des erreurs dans notre jeunesse, mais nous avions la capacité de rêver. On croyait qu'on allait construire un monde meilleur. (...) Quel espoir les jeunes ont-ils aujourd'hui pour un monde meilleur? Nous avions une utopie, ils n'en ont pas. Ce n'est pas leur faute, c'est celle d'une époque aveugle comme la nôtre."
R.Lee--AT