Arizona Tribune - Russie: le désarroi de Roïzman, dernier opposant de renom encore en liberté

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Russie: le désarroi de Roïzman, dernier opposant de renom encore en liberté
Russie: le désarroi de Roïzman, dernier opposant de renom encore en liberté / Photo: Alexei VLADYKIN - AFP

Russie: le désarroi de Roïzman, dernier opposant de renom encore en liberté

Evguéni Roïzman cache sa tristesse derrière une montagne de travail. Ce jour-là, dans son bureau, les visiteurs se succèdent. Tous veulent parler à ce critique acerbe de l'attaque en Ukraine et dernier opposant de renom à ne pas être emprisonné en Russie.

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Une babouchka, un couple d'admirateurs, un enfant autiste et sa famille, une mère célibataire désespérée voulant émigrer depuis l'offensive en Ukraine: Evguéni Roïzman les reçoit au siège de sa fondation caritative, à Ekaterinbourg, sa ville natale dans l'Oural, où il fut un temps le maire.

Ce vendredi-là, c'est aussi le mariage de l'une de ses filles. Entre deux entretiens lors de sa permanence, Evguéni Roïzman, 59 ans, file assister à la cérémonie. Puis revient et se remet au travail.

Grand, sportif, Evguéni Roïzman a un regard de cowboy et porte des mocassins rouges. Mais son assurance vacille dès que l'AFP lui demande s'il a un message à adresser aux Ukrainiens, dont le pays est à feu et à sang.

"J'ai peur d'appeler mes amis en Ukraine, car ils me diraient +ne m'appelle plus jamais+. C'est un sentiment de culpabilité extrême. Je comprends parfaitement ce qui se passe. Que puis-je dire aux Ukrainiens? Je leur demande pardon et leur souhaite toute la force et le courage."

Chez ses proches, il règne "une sensation de dégoût, une chose horrible se passe, les vivants sont pris dans un mal ignoble et ce mal l'emporte sous nos yeux", raconte M. Roïzman, en référence aux actions du Kremlin.

Puis, il se reprend: "Non, ça ne se passera pas comme ça, au final, la justice l'emportera et tout ira bien."

- Prêt à la prison -

L’étau se resserre pourtant autour d'Evguéni Roïzman. Récemment, il a été condamné à trois amendes pour avoir condamné l'offensive en Ukraine dans laquelle, dit-il, la responsabilité collective des Russes est "indiscutable".

"Nous avons peur qu'ils l'emprisonnent comme tous les autres. Donc on est venus le voir et lui serrer la main avant qu'il ne soit persécuté", résume Evguénia Kouzmenkova, 36 ans, arrivée spécialement de Sibérie avec son mari.

"Je comprends qu'ils puissent m'arrêter", affirme l'intéressé. "Je ne me fais pas d'illusions, je n'ai pas peur."

Laminée par les précédentes vagues de répression, l'opposition russe a subi le coup de grâce depuis l'assaut en Ukraine. Les derniers grands détracteurs de Vladimir Poutine ont émigré ou été jetés en prison.

Dernièrement, Ilia Iachine et Vladimir Kara-Mourza, deux opposants restés en Russie, ont été incarcérés pour avoir dénoncé le conflit. Ils risquent dix ans de prison. Avant cela, l'opposition avait déjà été dévastée par l'emprisonnement en janvier 2021 de sa figure de proue, Alexeï Navalny.

Evguéni Roïzman les connaît tous et les soutient. Pour lui, l'opposition russe a été anéantie. Il s'exprime encore, mais dit n'avoir plus d'ambitions politiques.

- Court et brutal -

M. Roïzman a eu un parcours parfois trouble et controversé avant d'entrer en résistance. D'un père ingénieur juif et d'une mère puéricultrice russe, il a fait deux ans de prison durant sa jeunesse.

Dans les années 1990, il est entrepreneur à Ekaterinbourg, alors une place forte de la mafia. En 1999, il lance une association de lutte contre la drogue accusée de violenter les toxicomanes, ce qu'il a nié.

De 2003 à 2007, il est député, puis conquiert en 2013, au nez et à la barbe du Kremlin, la mairie d'Ekaterinbourg et ses 1,5 million d'habitants.

Cette fonction est surtout représentative, sans grandes prérogatives, mais il est le seul opposant élu à un tel niveau. En 2018, l'élection du maire au suffrage direct est supprimée et M. Roïzman démissionne.

Depuis, il se concentre sur son influente association caritative, mais n'oublie pas de tancer le pouvoir. Sur Twitter, bloqué en Russie et inaccessible sans VPN, il a une spécialité: écrire des volées de mini-commentaires incendiaires, souvent bourrés de gros mots, sous les publications de médias pro-Kremlin.

"C'est de l'anti-propagande courte et brutale", explique-t-il, assurant que la vulgarité permet de "révéler la vraie nature" de l'information officielle.

Cet amateur de littérature, admirateur de Rabelais, enchaîne sur la difficulté de traduire les gros mots, puis s'interrompt pour retourner au mariage de sa fille.

Dehors, à l'entrée de sa fondation, il tombe sur deux femmes venues avec des chatons abandonnés. Evguéni Roïzman se détend et s'improvise une nouvelle mission: "Trouver une maison pour les chatons."

K.Hill--AT