Arizona Tribune - Dans le sud-est de la Turquie, les trésors ensachés de "Joseph l'Aveugle"

Euronext
AEX -1.37% 862.5
BEL20 -1.82% 4160.15
PX1 -0.57% 7269.63
ISEQ -0.98% 9713.24
OSEBX 1.31% 1445.01 kr
PSI20 0.84% 6428.13
ENTEC -0.41% 1416.23
BIOTK -4.53% 2802.09
N150 -0.04% 3313.22
Dans le sud-est de la Turquie, les trésors ensachés de "Joseph l'Aveugle"
Dans le sud-est de la Turquie, les trésors ensachés de "Joseph l'Aveugle" / Photo: ILYAS AKENGIN - AFP

Dans le sud-est de la Turquie, les trésors ensachés de "Joseph l'Aveugle"

L'herboriste tend le bras vers un sachet fleuri comme un champ d'herbes folles, garni de tilleul, d'églantier, d'éclats de gingembre séché, de bâtons de cannelle et d'un soupçon de mystère. Le thé de Haci Nahide, sa mère, contre la grippe et les refroidissements.

Taille du texte:

"C'est le mélange qu'elle me préparait quand j'étais gamin, les hivers étaient rudes ici", sourit Süleyman Onur, cerné par les dizaines de tisanes, herbes aromatiques et épices ensachées ou en bouquets, empilées dans sa minuscule boutique, la plus vieille herboristerie de Diyabarkir, grande ville du sud-est de l'Anatolie.

"Kör Yusuf", créée en 1891, a gardé le nom de son fondateur, "Joseph l'Aveugle", un catholique chaldéen de rite syriaque dont les descendants ont fini par quitter la région mouvementée, aux confins des frontières iranienne, syrienne et irakienne, après avoir cédé l'échoppe aux parents de Süleyman Onur dans les années 50 pour gagner Istanbul.

Les vieux tiroirs de bois laqué noir sont d'époque, mais les murs, dans le quartier historique de la cité à majorité kurde, ont bougé.

"La première boutique a été détruite en 1977", rapporte Süleyman Onur.

Les autorités turques voulaient alors ouvrir de larges artères pour faciliter la circulation dans cet entrelacs de ruelles, entre les murs noirs de basalte qui font la marque de Sur, le vieux centre de Diyarbakir abrité par l'une des plus longues murailles du monde.

C'était avant les affrontements dévastateurs de 2015-2016 entre l'armée et les combattants kurdes et la reconstruction hâtive du centre-ville qui a de nouveau modifié son allure.

- Pâtes de piment -

Süleyman Onur, 57 ans aujourd'hui, ne se souvient pas des propriétaires originels.

Quand il l'a reprise avec son frère Seyyaf, après la mort de leur père, la boutique était déjà là, réinstallée dans cette ruelle, bien trop exigüe pour ses trésors qui débordent à l'extérieur, au pied de sa toute petite devanture.

Une fenêtre-guichet lui permet de servir les clients de la rue, afin d'éviter d'envahir davantage l'espace saturé dans lequel on se meut entre bouquets de thym et jarres de pâtes de piment rouge en rentrant le ventre et les épaules.

Il est en revanche intarissable sur les vertus de ses préparations à base de plantes collectées autour de Diyarbakir.

La région, encadrée de montagnes et baignée par les deux fleuves qui définissent la Mésopotamie, le Tigre et l'Euphrate, fut rattachée à l'empire ottoman dès le 16e siècle et en était l'un des greniers - avec l'Egypte - pour nourrir ses armées face aux Perses et aux Russes.

"La situation géographique de Diyarbakir, la géomorphologie et l'influence des différents climats lui confèrent la richesse de sa flore", indique Alevcan Kaplan, pharmacologue-botaniste de l'université de Batman (sud-est).

Dans une étude consacrée à l'usage des plantes médicinales de la région, elle a dénombré 406 espèces de 229 genres différents, dont 56 endémiques, parmi lesquelles tilleul, caroube, sauge, prêle, feuille de coing, ortie, alchémille, fenouil, réglisse et hibiscus sont les plus usitées contre les infections respiratoires, dentaires, urinaires, la tension artérielle et les désordres intestinaux.

"Il y a 130 ans, il n'y avait pas de pharmacies ni de médecins. Les gens venaient ici pour se faire soigner", reprend M. Onur. "Joseph l'Aveugle aidait les gens, c'est pour ça que son nom a traversé les siècles."

- "Testé et éprouvé" -

"Nous avons nos propres cueilleurs: on leur donne les indications et les consignes de séchage pour nos préparations", explique le patron, qui assure "ne rien vendre qui n'ait été testé et éprouvé".

Du matin, rideau à peine levé, jusqu'au soir, le défilé est continu.

Parmi les premiers clients, un sexagénaire élégant dépêché par son épouse, qui déplie sa liste de courses.

Un jeune homme entre, s'enquiert du prix du safran (1.250 euros le kilo) et repart, effrayé. Puis une vieille femme vient demander conseil pour un problème rénal.

La jeune bouchère du quartier, Hürrem Yalçin, tirée à quatre épingles, vient chercher un mélange d'épices gardé secret pour la confection de ses sucuks - la saucisse turque.

"On vient ici parce qu'on a confiance. Ils sont les seuls à connaître notre recette", rit-elle.

"On utilise les remarques et l'expérience de nos clients. Ca nous permet de nous améliorer", assure Süleyman Onur. Et de maintenir la réputation de Kör Yusuf depuis 130 ans.

P.A.Mendoza--AT