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A Avignon, Serebrennikov entraîne le public dans la folie de la liberté
A Avignon, Serebrennikov entraîne le public dans la folie de la liberté / Photo: Nicolas TUCAT - AFP

A Avignon, Serebrennikov entraîne le public dans la folie de la liberté

"Un homme ne devient libre que s'il est capable d'être fou": le metteur en scène russe Kirill Serebrennikov a plongé le public du Festival d'Avignon dans les hallucinations d'un intellectuel épris de grandeur.

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L'artiste, qui a connu deux ans d'assignation à résidence dans son pays et qui est en exil en Europe dans la foulée de la guerre en Ukraine, a adapté "Le Moine Noir", une nouvelle fantastique d'Anton Tchekhov qui l'obsède depuis longtemps.

Il l'a transformée en une pièce de deux heures et demie à la scénographie efficace, aidée par le mistral qui a soufflé fort sur la Cour d'honneur du Palais des papes, haut lieu du festival où s'est déroulée la première jeudi soir.

A la fin de la représentation, l'artiste connu pour sa position anti-guerre et son équipe ont été applaudis, et une affiche sur laquelle était écrit "Stop War" a été projetée sur les murs du Palais.

La nouvelle de Tchekhov raconte l'histoire d'un intellectuel présenté comme brillant, Andreï Kovrine. Il est invité à se reposer à la campagne chez son ancien gardien, Yegor Pessotski, qui est obsédé par son jardin --représenté sur scène par trois serres construites en lattes et bâches en plastique-- et sa fille Tania.

"Je ne vis que pour ça, la liberté": le ton est donné par Kovrine dès les premières minutes de la pièce mais Pessotski, qui ne peut rêver d'un meilleur beau-fils, lui propose d'épouser Tania, ce que l'intellectuel accepte "par faiblesse".

- Des personnages dédoublés -

Il commence à avoir des hallucinations où lui apparaît un "moine noir" qui le convainc qu'il est un "élu" en raison de son génie. "Si tu veux être sain et normal, rejoins le troupeau", lui dit-il. Ou encore: "La liberté n'est peut-être qu'une illusion, mais n'est-il pas préférable de vivre d'une grande illusion?".

Refusant d'être un "arbuste banal" ou "un esclave du système", dégoûté par la "suffisance" de "petits bourgeois" de sa nouvelle famille, Kovrine abandonne Tania et se délecte dans sa folie. Ses hallucinations ne sont pas sans rappeler celles du héros de "La Fièvre de Petrov", film de Serebrennikov sorti l'an passé.

Trois acteurs différents (Mirco Kreibich, Odin Biron et Filipp Avdeev) endossent le rôle de l'intellectuel, se filmant dans leurs hallucinations parfois à l'aide d'un téléphone. L'image captée est projetée sur les murs du Palais des papes, accentuant la folie du personnage. Il y a aussi une Tania jeune (Viktoria Mirochnichenko) et celle qui a pris de l'âge et vit dans le regret (Gabriela Maria Schmeide).

On passe d'une première partie où les "voisins estivants" de Pessotski font la fête -- avec des chanteurs et danseurs professionnels -- à une dernière partie imprégnée de chants et danses quasi liturgiques, avec un moine noir qui se démultiplie.

Pour plonger le spectateur dans le drame, Serebrennikov fait raconter la même histoire du point de vue de chacun des personnages principaux, avec trois langues différentes (allemand, anglais, russe).

Produite par le Thalia Theater de Hambourg, la pièce avait été programmée avant le déclenchement de l'invasion russe de l'Ukraine. Elle jouera au Théâtre de la Ville à Paris en mars 2023.

Ironie de l'histoire, elle a été réalisée avec le soutien du Centre Gogol de Moscou, dirigé par Serebrennikov jusqu'en 2021 mais tout juste fermé par les autorités russes, qui ont décidé de changer sa direction et de rétablir son ancien nom.

L.Adams--AT