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L'écrivain Leonardo Padura et son "sentiment d'appartenance" à La Havane
Devant une vue imprenable sur les toits du centre historique de La Havane, l'écrivain cubain Leonardo Padura se confie sur son rapport à sa ville, à son pays et sur la relation particulière qu'il entretient avec les lecteurs de l'île.
"J'ai un fort sentiment d'appartenance à cette ville, à cette culture et à la manière d'être et de comprendre la vie" qu'ont les Cubains. "Pour un auteur, avoir ce sentiment d'appartenance, c'est très important", explique l'écrivain à l'AFP de retour quelques jours chez lui, entre deux voyages pour la promotion à l'international de son dernier livre, "Personas decentes" (Personnes décentes), publié fin août en espagnol et qui sortira en français en 2023.
"Le déracinement est quelque chose de terrible pour n'importe qui, mais pour un écrivain, c'est fatal", poursuit l'auteur et scénariste de 67 ans, dont l'œuvre littéraire compte plus d'une quinzaine de livres traduits en plusieurs langues.
Si son dernier roman est en bonne place sur les étals des nouveautés dans les librairies d'Espagne et d'Amérique latine, il n'est pas disponible à Cuba et les médias cubains n'en ont pas fait mention.
"Les lecteurs cubains sont habitués", dit l'écrivain qui raconte qu'une "copie piratée" numérique du livre circulait déjà à Cuba dès le lendemain de la sortie officielle en Espagne. C'est ce que "j'appelle le processus d'invisibilisation de ma personne à Cuba" en tant qu'auteur, dit-il.
Pour autant, il ne quitterait pour rien au monde sa ville natale, en particulier son quartier de Mantilla, dans le sud de la capitale, où vit également son personnage récurrent Mario Conde, enquêteur désabusé, amoureux de littérature et de cigares, qui reprend du service dans ce dernier opus.
- "Trouble et folle" -
A San Isidro, un des plus vieux quartiers de la capitale fondé il y a plus de 500 ans, Leonardo Padura déambule le long des maisons anciennes.
C'est dans ce quartier à l'histoire sulfureuse qu'a été assassiné Alberto Yarini, autre personnage du roman et dont l'histoire captive Leonardo Padura depuis ses jeunes années de journaliste.
Alberto Yarini, aristocrate charismatique devenu un proxénète aux aspirations politiques, a été tué en 1910 lors d'une bagarre avec un Français, proxénète lui aussi et qui contrôlait la prostitution à San Isidro, à une époque où La Havane était "trouble et folle", selon l'écrivain.
Ce personnage, ancré dans l'imaginaire des Cubains, "est confronté, dans cette lutte contre les Français, à la virilité cubaine, à la dignité cubaine, rien de plus ou de moins que dans une lutte pour la prostitution!" ironise l'écrivain, polo rouge éclatant et panama blanc sur la tête.
Comme souvent dans les œuvres de Leonardo Padura, le livre entremêle les histoires et les époques, avec d'un côté l'effervescence de la vie cubaine des années 1910, dans la foulée de l'indépendance (1902), et de l'autre celle qui a suivi le rétablissement des relations avec les Etats-Unis en 2015.
A ce moment-là, La Havane connaît une agitation inédite avec la visite du président Barack Obama, le concert des Rolling Stones, un défilé Chanel et un afflux de touristes qui fait fleurir les petits commerces.
Une "parenthèse" vite refermée par le président Donald Trump qui a renforcé les sanctions américaines contre l'île communiste. Les deux pays sont alors revenus à "l'état de tension, de confrontation, de vocabulaire de la Guerre froide qui a dominé (leur) relation pendant tant d'années", relève Leonardo Padura.
Dans ce contexte multiple, "Personas decentes" se construit autour de l'enquête sur le meurtre d'un homme, "incarnation d'un bourreau de l'intelligentsia cubaine" dans les années 1970 et exécutant de "la politique de répression culturelle" de cette période, explique l'auteur qui reconnaît la tonalité sombre et pessimiste de l'ouvrage.
A La Havane, malgré son succès international, l'écrivain vit les mêmes difficultés et les mêmes joies que ses compatriotes. Lui aussi fait la queue pour obtenir du carburant ou de la nourriture en raison des pénuries. Lui aussi partage l'amour inconditionnel des Cubains pour le baseball, "une passion culturelle, pas seulement sportive", assure-t-il.
Mais ce qu'il aime par-dessus tout à La Havane, c'est pratiquer une "thérapie" recommandée par Mario Conde, son personnage : "s'asseoir avec des amis et passer la nuit à raconter des conneries!"
H.Romero--AT