Arizona Tribune - D'abord l'eau, puis le pain: à Marioupol, "on ne vit pas, on survit"

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D'abord l'eau, puis le pain: à Marioupol, "on ne vit pas, on survit"
D'abord l'eau, puis le pain: à Marioupol, "on ne vit pas, on survit" / Photo: Andrey BORODULIN - AFP

D'abord l'eau, puis le pain: à Marioupol, "on ne vit pas, on survit"

Dans une autre vie pas si lointaine, Inna était coiffeuse. Aujourd'hui, le quotidien de cette habitante de Marioupol, grande ville du sud-est de l'Ukraine récemment prise par les forces russes, se résume à "courir" après l'eau et la nourriture.

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"Tu cours pour trouver un point de distribution d'eau. Après, là où ils donnent du pain. Ensuite, il faut faire la queue pour obtenir des rations", explique cette quinquagénaire sportive, deux bidons vides à la main. "Tu cours tout le temps".

Le siège de Marioupol, qui a duré près de deux mois, s'est soldé mi-avril par la prise de contrôle quasi-totale par les forces de Moscou et les séparatistes prorusses.

Après avoir vécu pendant des semaines dans des abris souterrains ou cloîtrés chez eux, les habitants sont ressortis, pour découvrir leur ville portuaire, autrefois vibrionnante, en ruines.

Dans ce quartier de l'est, aucune des barres d'immeubles soviétiques de neuf étages n'est intacte: des façades sont calcinées ou éventrées par les obus, certains bâtiments sont écroulés. Les magasins ont été pillés.

Plusieurs sépultures sont visibles sur une allée d'herbe au milieu d'un boulevard.

Pour les rescapés, aux destructions s'ajoutent les pénuries qui ont ramené leur quotidien à l'âge de pierre: pas d'eau, ni d'électricité, de gaz ou de réseau mobile et Internet.

- "Partir, mais où ?" -

Alors, à la peur des bombardements s'est substituée la quête obsessionnelle d'eau et de nourriture. Ce jour-là, les séparatistes prorusses, nouveaux maîtres de la ville, ont organisé une distribution devant une école aux murs grêlés d'impacts et aux vitres explosées.

Environ 200 personnes se massent derrière un camion militaire où des volontaires leur tendent des colis alimentaires – pâtes, huile, quelques conserves – siglés de la lettre "Z", symbole de soutien à l'offensive russe en Ukraine. Plus loin, deux camions-citernes distribuent de l'eau potable.

Un vieil homme aux yeux rusés repart en poussant un landau brinquebalant rempli à ras bord de bidons et de colis.

Devant des barres d'immeubles voisines, des groupes d'habitants s'agglutinent autour de réchauds improvisés: quatre parpaings encadrant un feu qui dégage une odeur âcre, pour chauffer qui une marmite, qui une grosse théière.

A côté, des vêtements macèrent dans deux grosses barriques bleues, des lave-linges de fortune.

Ici, "on ne vit pas, on survit", résume Irina, une développeuse de jeux vidéo âgée de 30 ans qui flotte dans un sweatshirt gris et porte un sac à dos d'où dépasse la frimousse d'un Yorkshire terrier aux yeux ronds comme des billes.

Dans ces conditions, pourquoi rester ? De nombreux habitants de cette ville qui en comptait quelque 450.000 avant le conflit sont partis via des couloirs humanitaires ces dernières semaines.

"J'aimerais partir. Mais où ?", demande Kristina Bourdiouk, une pharmacienne âgée de 25 ans, en rentrant chez elle avec ses deux fillettes qui tiennent chacune une grosse miche de pain qu'elles serrent précieusement contre elles.

Ailleurs en Ukraine ? "Il n'en reste rien". En Pologne voisine ? "Il y a déjà tellement" d'Ukrainiens là-bas. Quant à la Russie, c'est exclu.

Surtout, elle dit avoir vu des voitures "avec des familles, des enfants" être criblées de balles alors qu'elles tentaient de quitter la ville au début du siège. Elle dit ignorer qui a tiré, mais reste marquée.

Alors, elle préfère rester chez elle, avec son mari, sa mère et sa grand-mère. Et envisage désormais de travailler pour les nouvelles autorités qui, dit-elle, proposent de déblayer les ruines, ramasser les corps ou déminer la ville pour un salaire payé en roubles.

"Aujourd'hui, je suis prête à tout", souffle-t-elle.

- Frustration et colère -

En l'absence d'Internet et de réseau téléphonique, depuis début mars, Irina, la développeuse, ne peut ni travailler, ni contacter ses proches, notamment sa sœur jumelle qui, aux dernières nouvelles, se trouvait à Kiev.

Ses seules sources d'information sont le petit transistor radio à piles d'un voisin, qui capte une station prorusse, et le bouche-à-oreille qui propage plus de rumeurs que de vraies nouvelles.

Le manque d'informations fiables et l'incertitude engendrent aussi frustration et colère.

En pleine distribution de l'aide alimentaire, un responsable de la nouvelle administration, en treillis et casquette militaire, est apostrophé par une femme. En quelques secondes, un attroupement se forme autour d'eux et les questions fusent.

"Quand va-t-on toucher nos retraites ?" "Quand est-ce que les écoles vont rouvrir ?" "Et les magasins ?"

"Nous faisons de notre mieux", tente de rassurer le responsable en s'épongeant le front. "La priorité est d'assurer la sécurité et de déblayer", insiste-t-il.

Malgré la présence de nombreux militaires armés, un jeune homme éclate de colère: "On vous a posé des questions concrètes, répondez de façon concrète !"

Sur place, Denis Pouchiline, dirigeant de l'autoproclamée république de Donetsk à laquelle les séparatistes veulent intégrer Marioupol, promet une reconstruction "très bientôt" avec le soutien de Moscou. Et indique que le nombre de civils tués n'est pas connu, car "beaucoup de gens sont sous les décombres".

Les bras lestés d'eau et de nourriture, Irina est prête à rentrer chez elle. Elle veut croire que "le pire est passé" et veut "tenir encore quelques semaines, quelques mois, jusqu'à ce que la situation s'améliore".

Elle n'a qu'une hâte, que les communications soient rétablies pour donner enfin des nouvelles à sa jumelle. "Je veux lui dire: +Je suis vivante. Ta soeur est vivante+".

T.Perez--AT